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Née dans une cave en 1942, orpheline à deux mois et livrée à elle-même à 3 ans, Aïsha a un instinct de survie hors du commun et le combat chevillé au corps. C’est une enfant de la guerre. D’abord parce qu’elle est le fruit des amours d’un père algérien et d’une mère juive unis dans la Résistance, déportés et exterminés en camp de concentration en 1943. Ensuite, dans les décombres et les désordres de la Libération, âgée d’à peine trois ans, elle rejoint une communauté d’enfants vagabonds et sacrément débrouillards. Affamée, survivant de rapines, de mendicité et traquée par les gendarmes et les « braves gens », elle apprend la solidarité, la liberté et expérimente une forme de fraternité au sein de bandes d’enfants errants. Mais un jour de janvier 1948, recherchée par les services de « la sauvegarde de l’enfance malheureuse », Aïsha a le sentiment d’être littéralement « capturée ». À 6 ans, finie la vie buissonnière, elle entre à l’orphelinat. Révoltée contre cette « prison de la charité » elle pleure sa « république d’enfants » perdue. De manière inespérée, sa grand-mère vient la chercher : elle a à peine 7 ans, pèse 15 kilos et veut mourir… Pourtant, elle doit retourner à l’orphelinat au décès de cette dernière 6 ans plus tard. A 12 ans Aïsha est une adolescente meurtrie mais également aguerrie et forte de l’éducation apportée par sa grand-mère communiste. A l’orphelinat sa scolarité s’arrête au certificat d’études et elle devient ouvrière agricole jusqu’à 21 ans. Elle tire de ces années une expérience traumatique mais aussi une analyse critique sans concession et un esprit très combatif. Militante pour l’indépendance de l’Algérie, elle y passe quelque temps dans les années 60 pour défendre la condition de la femme et y officie comme aide-soignante. De retour en France, à Toulouse en 1965, elle devient travailleuse familiale mais est victime d’un accident qui la laisse paraplégique. Devenue mère, infirmière dans un hôpital parisien, elle se mobilise de nouveau pour lutter contre la discrimination à l’emploi faite aux personnes handicapées. Après une grève de la faim en 1972, elle obtient avec le soutien d’autres militantes son reclassement et le Comité de lutte des handicapés (CLH). Puis elle prend la plume, avec une implacable lucidité critique. Avec son témoignage-enquête La décharge publique, elle revient sur son expérience traumatique à l’Assistance Publique et poursuit son combat contre la violence institutionnelle et les différentes formes de maltraitance en donnant la parole aux « emmurés de l’Assistance ». Au début des années 1980, elle est journaliste au journal Bankalement vôtre qui a pris la suite de Handicapés méchants (1973). En 1986, elle publie un recueil de poèmes, Des mots pour le présent, puis l’on perd sa trace. « Je suis d’un courant d’air Mais d’un air courant Je suis une insoumise » Texte : Séverine Dard et Mathias Gardet D’après La décharge publique. Les emmurés de l’Assistance, Maspéro, 1980, par Aïsha et Dictionnaire des auteurs maghrébins de langue française, Karthala, 1984, par Jean Déjeux
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Né en 1816 à Saint-Chély-d’Apcher (Lozère) où son père exerce comme médecin de campagne, Théophile Roussel est envoyé à Paris dès l’âge de 13 ans pour y effectuer ses études secondaires puis sa médecine. Très vite, il se distingue par des recherches sur les maux qui affectent les populations laborieuses : la pellagre de certaines zones rurales à laquelle il consacre sa thèse puis un voyage d’étude, le phosphorisme des ouvriers qui travaillent à la fabrication des allumettes chimiques. Il obtient l’agrégation en 1847 avec une thèse sur les maladies cardiaques. De retour en Lozère, il s’engage en politique comme républicain modéré et se fait élire député sous la Seconde République de 1849 à 1851, puis plus longuement sous la Troisième République de 1871 à 1876 avant de rejoindre le Sénat en 1879 jusqu’à sa mort. A la Chambre, il est l’auteur d’une proposition de loi adoptée en 1873 tendant à réprimer l’ivresse publique et à combattre les progrès de l’alcoolisme. Mais on lui doit surtout la loi « Roussel » de protection de l’enfance du 23 décembre 1874 qui organise la surveillance des enfants placés en nourrice pour lutter contre une mortalité infantile qui peut atteindre 70 à 80% dans certains départements d’accueil. Il est alors président de la Société protectrice de l’enfance et membre de l’Académie de médecine. C’est en tant que sénateur que Théophile Roussel s’intéresse à la protection des enfants moralement abandonnés et participe à ce sujet aux travaux de la nouvelle Société générale des prisons. Dans la proposition de loi qu'il dépose en 1882, il préconise en particulier de créer deux nouvelles catégories d’établissements qui porteraient le nom d’écoles : des « écoles industrielles » pour les délaissés et des « écoles de réforme » pour les enfants. La loi est adoptée sept ans plus tard à la Chambre, le 24 juillet 1889, mais en conservant le cadre pénitentiaire existant et en ne retenant que le principe de la déchéance de la puissance paternelle. Il concourt également à la loi de 1893 sur l’assistance médicale gratuite à destination des indigents. D’autres de ses importants travaux de sénateur demeurent sans suite, comme son enquête en 1881 sur l’assistance publique et l’assistance privée, ou son rapport en 1882 sur la révision de la loi de 1838 sur les aliénés. Théophile Roussel s’investit aussi largement dans la vie économique et politique de son département. Il y décède en 1903 à Albaret-Sainte-Marie. Texte : Sylvain Cid Notice à retrouver sur le Portail Enfants en Justice