Oeuvres privées / Secteur public
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À qui est-ce qu’il revient de secourir et de protéger les enfants quand la famille fait défaut ? Aux pouvoirs publics ? À des personnes charitables ? À des institutions privées, en particulier aux œuvres religieuses ?
Lorsque la Révolution française proclame que secourir les plus pauvres et les plus vulnérables est un des « devoirs les plus sacrés de la Nation », elle rompt avec les conceptions antérieures en affirmant que l’assistance ne peut être laissée à la bienfaisance privée et à la charité chrétienne, mais qu’elle est, au contraire, à la fois une prérogative et une obligation de la puissance publique. Le domaine de l’enfance ne fait pas exception, et les révolutionnaires rivalisent de projets en direction des enfants « sans famille ». Force est cependant de constater que le principe d’une assistance publique en direction de l’enfance ne se traduit par des réalisations concrètes que très progressivement.
Sous l’Empire, le décret du 19 janvier 1811 met en place la première véritable politique publique à l’égard des enfants abandonnés et orphelins, mais les pouvoirs publics n’interviennent qu’en dernier ressort, lorsque la solidarité familiale et la charité privée font défaut. Au cours du XIXe siècle, l’action publique en direction de l’enfance, qui passe progressivement aux mains des départements, abandonne ce caractère subsidiaire et facultatif, tout en continuant de collaborer avec les œuvres de bienfaisance.
Sous la Troisième République, assistance publique et charité privée connaissent de vives tensions. Certains Républicains radicaux entendent mettre au pas les œuvres privées, congréganistes pour la plupart, et affirmer le monopole public en matière de protection de l’enfance. En réalité, ce projet n’est jamais mené à son terme. Si les grandes lois des débuts de la Troisième République consacrent la prééminence de l’assistance publique et réservent la tutelle des enfants à l’État, elles laissent toute possibilité à ce dernier de déléguer aux œuvres privées la prise en charge quotidienne.
De fait, la République assure une politique de protection de l’enfance qui repose à la fois sur les services départementaux d’enfants assistés et sur ce que l’époque appelle, par opposition à l’assistance publique, la « charité libre ». De nombreux « sans famille » sont ainsi confiés à des orphelinats privés, agréés et surveillés par l’administration. À partir des années 1920, se multiplient les organismes privés autorisés à intervenir comme intermédiaires pour l’adoption d’enfants. Quant aux inspecteurs de l’Assistance publique, qui sont à la tête des services des enfants assistés, ils comptent souvent parmi les membres éminents d’associations philanthropiques en faveur de l’enfance malheureuse.
Au demeurant, même les pupilles directement pris en charge par les services départementaux, ne sont pas élevés par un personnel fonctionnaire, mais confiés à des particuliers, nourrices, parents nourriciers ou patrons, témoignant que l’assistance à l’enfance a toujours été, et demeure encore aujourd’hui, par le jeu de l’agrément et de la surveillance administrative, une collaboration entre secteur public et personnes ou institutions privées.
Texte : Antoine Rivière