Mesures
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Protéger les enfants est du ressort de leurs parents. Cette assertion d’évidence a longtemps constitué le précepte central de la conception occidentale de la famille et la pierre angulaire des règles juridiques qui la définissent et l’encadrent. Au point que pour les autorités politiques ou religieuses la question de la protection de l’enfance ne se posait véritablement que pour les enfants « sans famille », orphelins ou abandonnés.
Au xixe siècle, les choses changent. À la faveur d’une sensibilité accrue à l’enfant, à son caractère à la fois fragile et précieux pour l’avenir, de nouvelles interrogations se font jour : la société ne doit-elle pas accorder sa protection à tous les enfants plutôt que de la limiter aux seuls enfants qui sont privés de celle de leurs père et mère ? Cette nouvelle perspective, qui ébranle profondément les conceptions anciennes de l’enfance et de la famille, ne s’impose évidemment que très progressivement. Suivant une conception nouvelle de ses devoirs de régulateur, et face aux bouleversements de la révolution industrielle, l’État social s’engage avec une grande prudence dans la protection de l’enfant au travail. Il ne s’agit alors que de circonscrire les méfaits les plus criants du développement industriel, mais le pas est irrémédiablement franchi : au nom de l’intérêt de l’enfant, l’autorité publique peut désormais légitimement définir des normes protectrices qui s’imposent à tous, y compris aux parents.
Cette première étape franchie, l’histoire des mesures de protection de l’enfance n’est pas pour autant un long fleuve tranquille. D’autant que si la protection de l’enfant hors de la famille, en particulier au travail, est relativement bien acceptée par les contemporains, reste la frontière la plus délicate à franchir : celle de la sphère privée et familiale. Et la lente conquête de ce bastion ne se fait pas sans heurts ni revirements tant les questionnements sont tout à la fois nombreux et profonds.
Les pouvoirs publics sont-ils légitimes à surveiller la façon dont les parents éduquent et élèvent leurs enfants ? Où commence et finit cette surveillance ? Par qui est-elle assurée ? Et que faire si des pères et mères ne se conforment pas aux normes de la bonne parentalité ? Faut-il les assister, les former aux bonnes pratiques ? L’État doit-il aller jusqu’à se substituer à eux lorsque ceux-ci sont jugés trop défaillants ? Et qu’est-ce qui définit un comportement défaillant ? La violence physique ? La maltraitance psychologique ? La mauvaise influence morale ? Lorsqu’il n’est pas considéré à proprement parler comme maltraitant, le père de famille doit-il accepter que sa liberté éducative plie devant les ambitions nouvelles des pouvoirs publics en matière d’instruction du peuple ou devant les exigences du progrès scientifique et médical qui ouvre la voie à l’hygiénisme et à la puériculture ? Quant aux enfants qui seraient éventuellement retirés aux parents, à qui faut-il les confier ? À des institutions publiques ou privées ? À des établissements collectifs ou à des familles de substitution ? Ces mesures de placement doivent-elle être définitives ? Doivent-elles laisser une place aux parents ?
Texte : Antoine Rivière