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Chiffres

À partir des premières décennies du XIXe siècle, les pays européens voient déferler une « avalanche de nombres imprimés », selon l’expression de l’historien et philosophe Ian Hacking, lorsque États, scientifiques et sociétés savantes, mais aussi institutions privées, se lancent dans une mise en chiffres du monde et de ses réalités. La statistique devient alors une véritable science du gouvernement des populations et de l’administration des territoires. Plus encore, sous l’influence du positivisme et de la foi dans le progrès, elle est même conçue comme un outil pour résoudre les difficultés de la modernité. C’est particulièrement vrai dans la France de la Troisième République, dont les élites intellectuelles et politiques sont convaincues que la description quantitative des problèmes (sociaux, économiques, politiques, démographiques…) est déjà une partie de la solution. Les politiques de l’enfance, qui au même moment se développent avec une vigueur inédite, n’échappent pas à cette logique. Jusqu’au XXe siècle, leurs objets comme les débats ou controverses auxquels elles donnent lieu sont avant tout énoncés en termes statistiques : mortalité et morbidité infantiles, « criminalité contre l’enfance » (exploitation, maltraitance, abandon, infanticide), natalité, scolarisation, délinquance juvénile…
Si le développement de la protection de l’enfance aux XIXe et XXe siècles donne ainsi lieu à une production considérable de chiffres en tout genre, force est de constater que l’historien croule parfois sous cette abondance statistique et ne parvient à lui donner de l’intelligibilité qu’au prix d’une interprétation critique. Au prix également d’une attention tout aussi soutenue aux itinéraires individuels des acteurs de cette histoire et à leurs témoignages singuliers : récit de soi et représentativité statistique se répondent et s’enrichissent mutuellement.

Texte  : Antoine Rivière