Secret des origines

Du début du XIXe siècle jusqu’aux années 1980, les services d’assistance à l’enfance refusent systématiquement de donner à leurs pupilles et anciens pupilles des renseignements sur l’identité de leurs parents ou sur les circonstances de leur abandon. Pourtant la législation française ne développe aucune disposition spécifique, se contentant de rappeler le principe général du « secret professionnel » et de laisser à l’administration toute latitude pour apprécier s’« il y a lieu d’observer le secret » (loi du 27 juin 1904, art. 36). Théoriquement facultatif, relativement discret dans les textes fondateurs, comment expliquer que le silence demeure la loi d’airain des services départementaux d’assistance à l’enfance jusqu’aux dernières décennies du XXe siècle ?
La principale raison tient à ce que le secret de la filiation est au cœur des politiques publiques de l’abandon d’enfants. En premier lieu, il est censé éviter qu’une mère célibataire ou une épouse adultère, désireuse de cacher une naissance dont la révélation risquerait de ruiner sa réputation et d’entacher l’honneur de sa famille, ne se résolve à avorter ou à commettre un infanticide. Seconde justification, le secret doit également empêcher pupilles et parents de naissance de se retrouver. La crainte des pouvoirs publics est en effet que des retrouvailles trop faciles n’encouragent les familles pauvres à considérer l’abandon comme une mise en pension aux frais de l’État, le temps que l’enfant ne soit plus seulement une bouche à nourrir mais aussi une force de travail. Le secret de la filiation, qui interdit le retour dans le milieu d’origine, est donc conçu à la fois comme un moyen de dissuader les classes populaires de se décharger sur la collectivité de leurs devoirs d’entretien et d’éducation, et comme une nécessité pour les finances publiques. Enfin, cette rupture avec la famille d’origine est vue par l’assistance à l’enfance comme la condition du redressement moral et physique d’enfants qu’elle considère comme étant issus de milieux misérables et immoraux.
C’est encore au nom de la lutte contre l’avortement et l’infanticide que le régime de Vichy prévoit dans le décret-loi du 2 septembre 1941 l’accouchement sous le secret, couramment appelé « accouchement sous X ». Modifié à plusieurs reprises dès les années 1950 et récemment par les lois 8 janvier 1993 et du 22 janvier 2002, le dispositif, toujours en vigueur, permet à une femme d’accoucher puis d’abandonner son nouveau-né sans que soit révélée son identité.
Avec la législation sur l’adoption, de la loi du 19 juin 1923 à celle du 11 juillet 1966 sur l’adoption plénière, une autre justification du secret apparaît : la connaissance de ses origines risquerait de perturber l’enfant adopté et d’empêcher l’attachement à ses parents adoptifs. Ce qui n’est pas sans rappeler à certains égards la conviction de l’Assistance publique sous la Troisième République, selon laquelle la rupture, physique mais aussi narrative, avec la famille d’origine était la condition pour que la greffe prenne dans la famille nourricière.

Texte : Antoine Rivière

Bibliographie

Sitographie

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Bracelet de naissance X

Bulletin de l’association Droit des Pupilles de l’Etat à leurs Origines