La parole des anciens et anciennes

Depuis les années 2000, quelques jeunes suivis par l’Aide sociale à l’enfance prennent la parole, en livrant leurs témoignages dans des ouvrages ou sur les écrans. Dans l’enfer des foyers, le livre de Lyes Louffok, a eu en particulier un écho médiatique important. D’autres – comme les anciennes du Bon Pasteur - ont décidé de créer blogs et association afin d’échanger souvenirs et émotions dans un cadre protégé.
Les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience de l’intérêt d’entendre cette parole des « premiers concernés ». Ainsi le Secrétaire d’état à la protection de l’enfance a commandé un rapport en 2021 à un « ancien jeune de la protection de l’enfance », Gautier Arnaud-Melchiorre, avec une volonté forte de recueillir la parole des enfants placés.
L’histoire de la parole des anciens est sans aucun doute une affaire de légitimité. Comment se sentir autorisé.e à parler, à témoigner, à collaborer quand on a le sentiment d’avoir été si peu écouté.e, si peu compris.e ?
En effet, ce que nous montrent les archives, c’est une parole institutionnelle qui prend toute la place. Il s’agit de parler du jeune, de son suivi, de sa famille. L’enfant est l’objet du discours éducatif, mais rarement le locuteur principal. D’ailleurs, régulièrement dans les rapports des inspecteurs de l’Assistance publique, des assistantes sociales de secteur, ou des psychiatres des consultations, les mots des enfants sont soit oubliés, soit mis en doute. Encore dans les années 1950-1960, il est possible de lire dans les écrits des professionnels des termes tels que : « mythomane », « menteur/menteuse invétéré.e », « imagination débordante » …
Il faut s’interroger sur l’écart qui existe entre une parole des enfants consignée soigneusement (entretien d’arrivée dans les établissements, notes prises pendant les séjours, retranscriptions d’entretiens éducatifs), réceptionnée et archivée régulièrement (en particulier les correspondances des pupilles adressées à l’Assistance publique) et pourtant si rarement utilisée au service de l’accompagnement éducatif individuel.
Grâce à ces sources, il est sans doute l’heure, pour les historiens et historiennes, à l’image de ce qui a été entrepris en Irlande, aux Pays-Bas ou encore en Suisse, d’ébaucher une histoire de la protection des mineur.e.s à hauteur d’enfants.

Texte  : Véronique Blanchard