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Service(s) des enfants assistés

Comme aujourd’hui celui d’« aide sociale à l’enfance », le terme « service des enfants assistés » désigne, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, à la fois la politique publique en faveur de l’enfance délaissée et l’administration qui, dans chaque département, est chargée de mettre en œuvre cette politique.
Au lendemain de la Révolution française, se diffuse progressivement le principe d’assistance, entendu comme un secours que la nation a le devoir d’apporter à ses membres les plus vulnérables. Le mot comme la chose ne s’imposent cependant que progressivement. La prise en charge des enfants abandonnés et orphelins prévue par le décret impérial du 19 janvier 1811 est par exemple encore désignée comme une « charité publique ». Il faut attendre la Seconde République, dont la constitution, comme celle de 1791, reconnait aux enfants abandonnés le droit à l’assistance, pour voir l’expression « enfants assistés » remplacer celle d’« enfants trouvés et abandonnés » dans la terminologie administrative et règlementaire.
Si le projet de loi de 1849 où elle apparait pour la première fois n’est finalement pas adopté, l’expression s’impose néanmoins dans les usages administratifs. Au ministère de l’Intérieur est créé un bureau des « enfants assistés ». Dans les départements, qui à partir de la fin des années 1830 se voient confier la charge et l’organisation de l’assistance à l’enfance, cette dénomination est progressivement utilisée pour désigner à la fois les services administratifs ad hoc et les hospices dépositaires où sont recueillis les enfants. Dans le département de la Seine, par exemple, c’est en 1856 qu’au sein de l’Assistance publique de Paris la division chargée de la protection de l’enfance abandonne le nom de « service des enfants trouvés » pour celui de « service des enfants assistés », tandis que, trois ans plus tard, en 1859, son établissement d’accueil situé rue Denfert-Rochereau devient l’« hospice des enfants assistés ». La loi du 5 mai 1869, bien que portant uniquement des dispositions financières, est importante à plus d’un titre : d’une part elle constitue en corps d’État les « inspecteurs des enfants assistés », qui, dans chaque département sont placés à la tête de l’assistance à l’enfance, d’autre part elle officialise le nom de « service des enfants assistés ».
Il revient à la Troisième République de donner à l’assistance à l’enfance ses fondements modernes. Elle le fait dans une grande charte adoptée le 27 juin 1904 sous le titre programmatique de « loi sur le service des enfants assistés ». Cette dénomination, qui fait écho aux lois d’assistance obligatoire de la période, celle du 15 juillet 1893 sur l’assistance médicale gratuite et celle du 14 juillet 1905 sur l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables, entérine définitivement le droit au secours pour les enfants délaissés, et traduit le caractère national de cette assistance à l’enfance, dont l’application revient aux départements mais dont les principes et les dispositifs s’imposent sur tout le territoire. Elle traduit enfin le vaste événtail des populations infantiles désormais prises en charge, qui ne se limite pas aux catégories traditionnelles des enfants abandonnés, trouvés, ou orphelins, mais inclut aussi les enfants « moralement abandonnés », les « temporairement recueillis » ou encore les « enfants secourus » dont les mères, célibataires pour la plupart, reçoivent une aide financière au nom de la prévention des abandons.
C’est sous le régime de Vichy, aux termes de la loi du 15 avril 1943, que le « service des enfants assistés » prend le nom de « service de l’assistance à l’enfance ».

Texte  : Antoine Rivière

Documents

Bibliographie

  • DE LUCA (Virginie), Aux origines de l’État-Providence. Les inspecteurs de l’Assistance publique et l’aide sociale à l’enfance (1820-1930), Paris, INED, 2002.
  • DUPOUX (Albert), Sur les pas de Monsieur Vincent. Trois cents ans d’histoire parisienne de l’enfance abandonnée, Paris, Revue de l’Assistance publique, 1958.
  • JABLONKA (Ivan), Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939), Paris, Seuil, 2006.
  • RIVIÈRE (Antoine), La misère et la faute. Abandon d’enfants et mères abandonneuses à Paris (1876-1923), thèse d’histoire, Université Paris IV – Sorbonne, 2012.
  • ROLLET (Catherine), La politique à l’égard de la petite enfance sous la Troisième République (1865-1939), Paris, INED, 1990.

Sitographie

Fascicule édité par l’ APHP sur le service des enfants assistés : https://www.calameo.com/read/0040218277955b133ed7d

Images

Crédits : AP-HP

Hospice des enfants assistés de la Seine, gravure (1883)

Source  : Archives de l’AP-HP

Aux XIXe et XXe siècles, le cœur de Paris abrite le cœur administratif de l’assistance à l’enfance : avenue Victoria, à deux pas de l’Hôtel-de-Ville, au siège de l’Assistance publique de Paris, se trouvent les bureaux du service des enfants assistés du département de la Seine. Là, nul enfant, mais une bureaucratie de plus en plus nombreuse et spécialisée, en charge de la gestion administrative, budgétaire et juridique du plus important service de protection de l’enfance du pays.
Pourtant le lieu emblématique de cette assistance aux « sans-famille » est ailleurs, sur l’autre rive de la Seine, au 74 rue Denfert-Rochereau dans le 14e arrondissement. C’est là que se situe l’hospice des enfants assistés. Emblématique d’abord par l’ancienneté de son implantation. Installé dans l’ancienne abbaye de Port-Royal dès la fin de l’Ancien Régime, l’établissement, qui prend le nom d’hospice des enfants trouvés, déménage en 1814 dans les bâtiments voisins de l’Oratoire de la rue d’Enfer, devenue plus tard rue puis avenue Denfert-Rochereau, qu’il ne quitte plus jusqu’à la fin du XXe siècle, malgré ses changements de nom successifs : hospice des enfants assistés à partir de 1859, puis hôpital-hospice Saint-Vincent-de-Paul en 1942.
Emblématique surtout parce que, devenu hospice dépositaire du département de la Seine à partir de 1849, il est le lieu d’abandon par excellence : c’est là que, du début du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, entre 1000 et 4000 enfants sont abandonnés chaque année.
Emblématique enfin, parce que la Troisième République, si active en matière de protection de l’enfance, l’a voulu ainsi, multipliant les campagnes de communication, notamment par l’image, visant à faire connaitre ce lieu qui incarnait les efforts sans précédent qu’elle consacrait à l’enfance malheureuse. Au début de la décennie 1880, l’élargissement de la rue Denfert-Rochereau, qui impose la démolition des bâtiments de l’hospice situés en bordure de la voie publique, est l’occasion de moderniser le site et de le doter des équipements les plus modernes en matière d’hygiène et de médecine des enfants, et la façade nouvelle de l’édifice devient la face visible d’une politique nouvelle, qui, selon ses promoteurs, doit coûte que coûte sauver les enfants délaissés par leurs parents, errant dans les rues, orphelins ou maltraités. Gravures, comme celle présentée sur le document, mais aussi photographies ou peintures commanditées par l’Assistance parisienne, sont alors reproduites à des milliers d’exemplaires sur des cartes postales, dans des brochures ou des encarts dans la presse, diffusant, à travers celle du nouvel hospice de la rue Denfert-Rochereau, l’image d’une modernité revendiquée par les républicains : celle de l’État social protecteur des faibles, et en premier lieu des enfants.
Texte  : Antoine Rivière

Crédits : AP-HP

Hôpital Saint Vincent de Paul (Paris), colliers et médailles d’immatriculation des enfants assistés, années 1950

Source  : Archives de l’AP-HP

Dans la France du XIXe siècle, les pratiques administratives de l’abandon s’établissent et s’harmonisent à l’échelle du pays. Les hospices qui reçoivent les enfants abandonnés et trouvés, au moins un par département, tiennent des registres d’admission, dans lesquels sont systématiquement inscrits les enfants déposés. Une fois admis, chaque enfant est pourvu d’un numéro matricule qui le suivra jusqu’à sa sortie de l’institution à sa majorité. Ce numéro matricule est gravé sur une médaille qui est attachée au cou des enfants les plus jeunes par un collier. Sur l’image on peut voir sur la gauche, dans un casier en bois, les perles qui vont servir à confectionner le collier et sur la droite les médailles en métal sur lesquelles sont gravés les numéros d’immatriculation. Lorsque, à l’âge de 6 ans, le pupille est considéré comme suffisamment grand pour qu’il n’y ait plus de risque de confusion sur son identité, la médaille est retirée. Cette « rupture du collier », pour reprendre la terminologie bureaucratique, marque une étape importante dans la vie des pupilles : l’entrée dans « l’âge de raison », l’entrée à l’école.
Texte  : Antoine Rivière

Crédits : AP-HP

Rapports sur le service de la Seine (1855, 1890, 1903, 1943, 1945) présentés par le Directeur de l’administration générale de l’Assistance publique à Monsieur le Préfet de la Seine

Source : Archives de l’AP-HP

Au cours du XIXe siècle, la politique de protection de l’enfance connaît en France un essor considérable. Dans chaque département, elle est mise en œuvre par un « service des enfants assistés » placé sous l’autorité du préfet qui assure en particulier la tutelle des enfants. Paris et le département de la Seine font cependant exception, puisque ce service y est confié à « l’administration générale de l’Assistance publique à Paris ». Pour rendre compte de la mission qui lui est ainsi déléguée, le directeur de l’Assistance publique adresse donc chaque année au préfet de la Seine un rapport de plusieurs dizaines de pages. Ces rapports annuels dressent un bilan financier détaillé et décrivent précisément le fonctionnement du service, aussi bien le « service intérieur » c’est-à-dire l’hospice dépositaire et ses annexes parisiennes, que le « service extérieur » constitué des agences de placement en province où sont envoyés les enfants pour être confiés à des familles nourricières. En plus de permettre le contrôle par le préfet, ces rapports fournissent des éléments d’appréciation indispensables au conseil général de la Seine qui vote le budget du service. En outre, cette documentation, qui court jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, constitue une source essentielle pour saisir sur le temps long l’histoire de la protection de l’enfance dont le service parisien fut l’une des institutions emblématiques.
Texte  : Antoine Rivière