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Le Centre Belle Etoile

“Le centre de redressement Belle Étoile”, créé après-guerre au pied de la montagne éponyme par l’abbé Albert Garin, est une institution savoyarde qui a profondément marqué les esprits.
En 1946, l’abbé Garin, revenu dans sa commune natale pour des raisons de santé, décide d’organiser dans la propriété familiale de Mercury-Gémilly des colonies de vacances puis y fonde un orphelinat. Reconnu en 1947 comme “Association d’assistance et d’éducation populaire de l’orphelinat de la Belle Etoile”, le centre est habilité en juillet 1948 à recevoir des mineurs délinquants au titre de l’ordonnance du 2 février 1945, ainsi que des mineurs en danger moral en mai 1949.
Rapidement, l’établissement accueille une soixantaine d’enfants de 5 à 21 ans, relevant aussi bien de la justice des mineurs que de l’assistance publique.
Pendant plus de deux décennies, le centre bénéficie d’appuis et reçoit sans difficulté les habilitations nécessaires pour son développement. Vers 1960 il atteint son apogée avec 160 enfants répartis sur trois sites : Mercury pour les 10-12 ans, Tamié pour les 13-16 ans et l’Étanche pour les 5-9 ans. Les plus grands sont généralement placés en apprentissage chez des artisans.
Deux inspections, en 1952 puis en 1960-61, dépeignent un lieu où « les enfants évoluent dans une atmosphère faite de joie, de confiance réciproque et de sérénité » et un établissement qui « a fait ses preuves dans l’éducation des jeunes mineurs en danger moral ».
Or, [nombre d’enfants vivent un calvaire : locaux non chauffés ni équipés de sanitaires, marches forcées la nuit dans la neige de plusieurs kilomètres, privation de nourriture, d’eau, stigmatisation des énurétiques, coups, humiliations voire sévices sexuels pour certains. Il faut attendre un rapport issu d’une inspection conjointe de l’Éducation Surveillée et de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DASS) en avril-mai 1970 pour qu’enfin les dysfonctionnements et maltraitances systémiques soient mis à jour. De premières critiques ont en réalité émergé des familles dès 1964 puis en 1967. Ultérieurement, des faits encore plus graves sont rapportés : enfant éborgné ; enfant mort électrocuté, pieds gelés. Cette inspection, et notamment le compte-rendu de deux monitrices fraîchement employées fin 1969, achève la réputation du centre.
Le rapport conclut à la demande de fermeture des 3 sites, la mise à pied immédiate de l’abbé Garin et de deux encadrants, dont la seule éducatrice diplômée de l’établissement. Néanmoins, une habilitation provisoire est accordée au nouveau centre d‘apprentissage « Belle Étoile », récemment inauguré en grandes pompes. Ce jour-là, le ministre Joseph Fontanet - également membre du Conseil d’Administration de l’association Belle Étoile - est présent aux côtés de l’abbé Garin. Ce dernier décède peu de temps après en 1974, mais l’association « Belle Étoile » poursuivra son activité, avec, semble-t-il, de nouvelles orientations éducatives et une direction renouvelée.

Texte  : Clémence Davigo, Séverine Dard et Pauline Tournier

Documents

Bibliographie

  • Andrea (Jean-Baptiste), Des diables et des saints, Éditions L’iconoclaste, 2021.
  • Boiron (André), « T’en auras les reins brisés ! » (préface de François Saint-Pierre), Éditions livres, EMCC, 2014.
  • Buttice (Mario) , Journal d’un « anti-éducateur », Entreprendre Editions Elix, 2018.
  • Ferrara (Pierre), Tracer son chemin, Editions Scripta, 2020
  • Stump (Jean-Pierre), Les mauvaises herbes, Verone Éditions, 2024.

Sitographie

Images

Villa Belle Etoile - Maison familiale Garin, Maison-mère du Centre Belle Étoile, circa avant 1939

Source  : Collection privée Anciens de la Belle Etoile
La Villa Belle Etoile est tout d’abord utilisée comme lieu d’accueil de colonies de vacances pour des enfants issus d’un patronage de la région parisienne. Sur cette base, l’Abbé Albert Garin, héritier des lieux, décide d’en faire un orphelinat en 1948, puis un centre de redressement en 1949.
Texte  : Clémence Davigo

L’abbé Garin au milieu des jeunes lors de leur communion solennelle (circa fin des années 1960)

Source  : Collection privée Anciens de la Belle Etoile
Crédits  : Droits réservés

Lors d’une cérémonie de communion solennelle, évènement public, de jeunes garçons de la Belle Etoile sont habillés spécialement pour l’occasion, de vêtements prêtés pour la journée.
Les célébrations religieuses rythment la vie du centre où la messe obligatoire a lieu tous les dimanches et les prières sont récitées trois fois par jour.
Au centre, Albert Garin né à Mercury en 1917, élevé par son oncle ecclesistique et historien en région parisienne, est ordonné prêtre en juin 1943. En tant que fondateur, directeur et propriétaire du centre Belle Etoile, il, est la figure centrale de l’établissement. C’est son œuvre, sans partage, pendant plus de 25 ans. Issu d’une famille bien implantée depuis des générations dans la région, il est une personnalité influente et peut compter sur de nombreux appuis. Selon les anciens pensionnaires « il tenait tout le village ».
Lors de la première inspection de 1952, Il est dépeint comme doté de “qualités morales et intellectuelles d’un véritable chef de centre, dans un désintéressement total” et bénéficie d’une réputation de renom. Encore début 1970 il reçoit l’ordre du mérite et les appuis pour le nouveau centre d’apprentissage qu’il compte agréger aux trois autres bâtiments. Mais, soumis à une nouvelle inspection pour habiliter ce nouveau centre d’apprentissage, il est mis en cause pour les mauvais traitements infligés aux jeunes dans son établissement. Il est démis de ses fonctions et décède d’alcoolisme le 6 février 1974 à 56 ans.
Texte  : Séverine Dard

Enfants dans les escaliers menant aux salles de classe, à Mercury, années 60

Source  : Collection privée d’anciens de la Belle Etoile

Les jeunes chefs du centre et l’abbé Garin (années 1960)

Source  : Collection privée d’anciens de la Belle Etoile
Crédits : Droits réservés
Photo représentant les chefs du centre (aucun n’est éducateur) et l’abbé Garin sur la droite dans les années 1960. Il tient un berger allemand qui évoque les mauvais souvenirs d’anciens pensionnaires qui racontent les morsures subies.
En bas de la photo, parmi les jeunes chefs accroupis, Felix Braisaz (2ème en partant de la gauche) est lui-même un ancien pensionnaire des débuts de la Belle Etoile et chef encadrant jusqu’en 1970. Surnommé « le kapo » ou « la guenon » il est connu pour ses méthodes violentes et autoritaires, et décrit comme un des chefs les plus sadiques. Ainsi à la fin de 1969, il crève l’oeil de Raoul G. en lançant un bâton vers un groupe d’enfants alignés en rangs. Il n’est pas renvoyé, on évoque un malheureux accident. Il déclare spontanément qu‘il « s’énervait parfois un peu trop mais qu’ll se demandait ce que serait la discipline s’il n’était pas là ».
Au même titre que l’abbé Garin il est démis de ses fonctions suite au rapport d’inspection de 1970.
Texte : Séverine Dard

Couverture du « Journal d’un anti-éducateur », de Mario Buttice, Editions Entreprendre, 2018

L’auteur est le quatrième et dernier enfant d’une fratrie. Placés en établissement,
abandonnés, séparés par les travailleurs sociaux, les trois garçons et leur soeur
finiront par se perdre de vue. Pendant très longtemps personne ne s’est soucié de
lui. Aujourd’hui on parlerait de maltraitance grave, des poursuites seraient
diligentées par les autorités à l’encontre des tortionnaires rencontrés par Mario
Buttice et ses pairs. Á l’époque tout le monde s’en fiche. Il aurait pu être broyé,
irrécupérable, devenir un voyou. L’auteur a fait volte-face, il est devenu lui-même
éducateur ; non, un « Anti éducateur » comme il le dit ironiquement. Il ne se taira
jamais face à la maltraitance et à l’injustice dont sont encore trop souvent victimes, dans notre pays, les enfants
et les personnes fragilisées, en situation de handicap.

Mario a réussi à dépasser son histoire et devenir éducateur, ou plutôt, comme il le revendique lui-même, un « anti-éducateur ». Ce métier, il l’a exercé pendant de nombreuses années, avec passion et militantisme, et peut témoigner de ses évolutions, tant en bien qu’en mal.
Texte  : Clémence Davigo

Le village de Mercury et le centre Belle Etoile (années 1970)

Sources : Carte postale de 1974
Crédits : Droits réservés
Le village de Mercury (anciennement Mercury-Gémilly, jusqu’en 1965) se trouve dans la Combe savoyarde en altitude. Il compte autour de 1500 habitants au début des années 1970 et offre un cadre naturel privilégié au pied de La Belle Étoile, sommet préalpin de 1 841 mètres d’altitude. On peut voir sur la gauche le site originel de la Belle Etoile qui s’est modifié au cours des décennies et occupe ine place centrale dans le village.

Texte : Séverine Dard