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Mortalité

« Ici, on fait mourir les enfants trouvés aux frais du public », s’alarme en 1838 le docteur Villermé à propos des hospices où sont recueillis enfants abandonnés et orphelins. Ce jugement est-il exagéré ? Au regard des statistiques qu’ historiens et démographes ont pu reconstituer, il semble au contraire parfaitement justifié. Jusqu’aux années 1880, la mortalité des enfants recueillis dans les établissements privés comme publics est deux à trois fois supérieure à celle des enfants élevés par leurs parents.
Certains historiens font l’hypothèse qu’une sorte d’« angélisme chrétien » conduisait alors à banaliser cette mortalité : les enfants ayant été recueillis, baptisés et protégés de l’infanticide, et la plupart étant des enfants illégitimes, leur vie serait meilleure « au ciel ».
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, cette tolérance est de moins en moins de mise. En France, en 1865-1866, les enquêtes des docteurs Monot et Brochard font ainsi scandale en révélant qu’en moyenne 50% des enfants envoyés chez des nourrices rurales décèdent dans leur première année. Avec l’intérêt croissant pour le sort des enfants, la mortalité infantile devient une préoccupation pour l’opinion publique et un mal à combattre pour les responsables politiques. Ceux-ci sont effectivement inquiets d’une diminution de la natalité hexagonale et d’une démographie plus faible que chez les voisins européens (notamment l’Allemagne), qui font craindre pour la puissance économique et militaire du pays, voire pour la « survie de la race française », selon l’expression popularisée par les médecins de l’époque. Moins nombreux et donc plus précieux : faire survivre les enfants devient une cause nationale. Comme le rappelle le docteur Monot, la perte – évitable – de 200 000 enfants par an est aussi celle de futurs soldats et travailleurs.
Avec l’envoi des enfants chez des nourrices rurales, l’entassement dans les villes lié à l’industrialisation est l’autre grande cause de mortalité infantile , qui touche particulièrement les quartiers les plus pauvres.
À la fin du 19° siècle, les lois protectrices de l’enfance, les progrès de l’hygiène et de la médecine pasteuriennes, l’affirmation de la pédiatrie et de la puériculture, l’amélioration de l’alimentation des bébés avec la généralisation de la stérilisation des biberons et le développement des laits industriels « maternisés » enclenchent le déclin de la mortalité infantile, qui continue cependant jusqu’aux années 1950 de connaître des épisodes de flambée brutale (canicule de 1911, effets des deux guerres mondiales, etc.). Ainsi, dès les années 1900, qu’ils soient recueillis par les institutions d’assistance à l’enfance ou confiés à des nourrices, la surmortalité des enfants placés disparaît.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’amélioration générale des conditions de vie, la création de la sécurité sociale ainsi que le développement de la protection maternelle et infantile produisent une baisse rapide : de 113 décès pour mille enfants de 0 à 1 an en 1945 on passe à 3,5 pour mille en 2016.
Le triomphe de l’hygiénisme et de la médecine a cependant deux corollaires dommageables, dont les effets se font sentir jusque dans les dernières décennies du XXe siècle. D’une part, une centration sur les besoins physiologiques des enfants au détriment de leurs besoins affectifs ; d’autre part, l’enracinement d’une culture du placement et, par conséquent, la persistance des mesures de retrait, la lutte contre « les fléaux sanitaires et sociaux », déjà réclamée par les hygiénistes du XIXe siècle, justifiant souvent, contre toute autre considération, l’éloignement du foyer familial considéré comme pathogène.

Texte  : Philippe Fabry et Antoine Rivière

Documents

Bibliographie

  • ROLLET ECHALIER (Catherine), La politique à l’égard de la petite enfance sous la III République, collection Cahiers, n° 127, 1990, 596 p.

Images

Sauvez votre bébé !

Source  : Bureau des enfants de la Croix-Rouge américaine, Alice Dick Dumas, 1919.

Diagramme

Source  : Rapport du directeur de l’Assistance publique de Paris sur le service des Enfants assistés de la Seine pour l’année 1896, Archives de l’AP-HP, cote : 13 L 9.

À partir du milieu du XIXe siècle, le directeur de l’Assistance publique de Paris adresse chaque année au préfet un rapport sur le service des Enfants assistés de la Seine. Le document, de plusieurs dizaines de pages, rend compte de la situation à l’hospice dépositaire de la rue Denfert-Rochereau ainsi que dans les agences de placement en région, où le service parisien confie ses pupilles à des familles nourricières. L’usage de statistiques, sous forme de tableau et de graphiques, y est courant : recettes, dépenses, secours aux filles-mères, admissions, sorties, morbidité, décès, recrutement des nourrices, scolarité… sont systématiquement mis en chiffres.
Concernant la mortalité des enfants assistés, il faut reconnaître que l’abondance statistique ne facilite pas toujours l’appréciation globale et la mesure fine des évolutions, tant les séries sont multiples et les nomenclatures fluctuantes dans le temps : mortalité des enfants de moins de 2 ans, mortalité à l’hospice, mortalité en agences, décès dans l’année, décès des enfants à la pension, décès des enfants gagés…
Si, dans ces conditions, il semble difficile de la mesurer précisément, il ne fait en revanche aucun doute que la mortalité des enfants de l’Assistance parisienne connaît en une dizaine d’années, entre le milieu des années 1880 et le milieu des années 1890, une diminution spectaculaire. C’est ce que montre ce diagramme, publié dans le rapport annuel de 1897, sur lequel sont indiquées, année par année, les causes de sortie de la tutelle. Jusqu’en 1884, environ un enfant sur trois quitte l’institution suite à son décès (cases en vert et en orange sur la partie droite de la figure) ; onze ans plus tard, en 1896, la proportion n’est plus que d’un sur dix. Ce qui se révèle en creux, derrière ces aplats de couleurs, c’est la conversion rapide de l’institution parisienne à la médecine pasteurienne et aux préceptes hygiénistes, qu’elle met non seulement en œuvre au sein de son hospice parisien, mais qu’elle diffuse aussi à ses nourrices grâce au développement de la surveillance médicale et administrative des placements ruraux.

Texte  : Antoine Rivière

Graphiques sur l’évolution de l’espérance de vie et de la mortalité infantile entre 1740 et 2004

Source : INED, Gilles Pison, Population et Sociétés n° 410, mars 2005